Quand la maternité est une souffrance
En créant ce blog, je savais que je consacrerais un ou plusieurs articles à ce sujet, parce qu’il m’a personnellement concerné et que plusieurs textes sont déjà écris à ce sujet. J’ai écrit le texte qui suit pour plusieurs raisons :
d’abord parcequ’il me semblait important de ne pas oublier ce vécu, ces ressentis. Ne pas oublier que dans la vie rien n’est jamais blanc ou noir et que même les plus belles et nobles des expériences, comme celle de donner la vie peut avoir sa part d’ombre.
Ensuite parce que, comme c’est le cas pour toutes les thématiques relativement « intimes » que j’aborde par l’écriture, celle ci à un effet libérateur, thérapeutique. Certains le font en chanson, d’autres en poèmes ou par le biais de romans, moi j’ai choisi la manière directe : le récit, tout simplement. Je me raconte, je vous raconte.
Ce qui m’amène à la dernière raison : j’ai toujours eu profondément à coeur de partager cette expérience en particulier parce que, même si aujourd’hui la parole se libère, que la dépression post-partum est devenue moins tabou en même temps que la démystification de la maternité gagne du terrain, il me semble important d’en informer les jeunes primipares*.
*Je me permets ici une petite a parte linguistique afin de donner un avis très personnel au sujet de ce mot splendide qui fait inévitablement resurgir du fin fond de mon inconscient les illustrations de mon manuel de bio du collège (oui toi jeune millénial qui me lit, sache qu’au siècle dernier la SVT s’appelait biologie) et me renvoie aux images de vache (vivipare) et de poule (ovipare) qui illustraient les définitions.
Vraiment, merci la langue Française pour ces merveilles !
Plus sérieusement, je voulais aussi et surtout déculpabiliser ces jeunes femmes (et éventuellement toutes les vaches qui me lisent), leur dire qu’elles ne sont pas seules, elles ne sont pas et ne deviendront pas pour autant des mères défaillantes ni mal-aimantes. Il faut juste savoir demander de l’aide, et le faire auprès des bonnes personnes, à savoir un médecin ou un thérapeute.
Car il s’agit bien d’une maladie réelle que ni les conseils bienveillants ni l’amour infini de votre maman adorée, meilleure copine d’amour (qui vous connait mieux que personne) ou tata chérie (de qui vous êtes vraiment très très proche), ne pourront soigner, même si l’effet thérapeutique de leurs présences à vos côtés n’est pas à négliger.
Sachez toutefois que même s’il aborde un sujet sensible, longtemps tabou pour les femmes, ce texte décrit mes ressentis réels, de manière directe, sans langue de bois ni détours. Je le fais par respect, en toute sororité.
Mère, responsable et Adulte
J’ai vécu les trois premiers mois de ma maternité dans un tourbillon de larmes, de fatigue et d’angoisse, de douleur et de doutes. Couchés froidement sur le papier, tous ces mots peuvent paraître exagérément négatifs et tristes mais ce sont pourtant bien les termes qui décrivent au plus juste le souvenir général qu’il m’en reste.
Ceci malgré tout l’amour, l’immense, l’indescriptible amour que je pouvais ressentir pour cet être minuscule et adorable.
Je me sentais proportionnellement écrasée par le poids insoutenable de la responsabilité qu’il impliquait. J’avais tout à la fois pour mission de nourrir, de soigner et d’aimer cette petite vie qui était mon oeuvre, mais, justement parce qu’elle était mon œuvre, je me devais envers elle de me montrer parfaitement mure et responsable en un mot : adulte.
Ne m’y étais je pas préparer ?
Tout au moins le pensais je.
Mais la réalité était bien différente, bien plus dure, bien plus éprouvante que tout ce que j’avais pu imaginer.
Lorsque l’on se prépare à assumer pour la première fois les responsabilités d’une mère, ou tout au moins que l’on essaie de se faire tant bien que mal une vague projection de l’avenir, il y a des facteurs que l’on ne peut pas évaluer, ni même imaginer, n’en ayant jamais fait l’expérience. La fatigue, le manque de sommeil, les divers maux…la primipare que j’étais de s’y attendait pas, ou tout au moins pas dans de telles proportions.

Dépassée, démunie et… coupable
On entend bien sûr parler de baby blues, de taux d’hormones en chute libre et on se dit bien qu’on va y passer, on l’attend de pied ferme le bon vieux coup de cafard qui vous tombe dessus le troisième ou quatrième jour, passée la phase euphorique de la rencontre avec le bébé.
Dans mon cas, il est survenu à la maternité, exactement trois jours après la naissance, mais les larmes ont duré bien plus de 6 semaines, intarissables, incontrôlables, imprévisibles…
Je me sentais dépassée, démunie, bonne à rien, monstrueuse et bien sur coupable car cela signifiait certainement que je n’étais rien d’autre que de la graine de mauvaise mère.
Je ne me retrouvais pas dans ce rôle de mère, je ne me reconnaissais pas dans ce corps déformé, je vivais cette césarienne comme une véritable mutilation, je m’en voulais de ne pas avoir été capable de mettre au monde mon bébé, de « les avoir laissé faire » et je vivais cette mutilation comme ma punition. Et puis c’était comme si, n’ayant pas pu assumer cette mise au monde, je me sentais forcément incapable d’assumer la suite.
Comme si le film avait été coupé au montage.
J’étais enceinte et parfaitement à l’aise avec ma grossesse et la perspective de ma maternité et puis tout à coup le fil s’est cassé, je l’ai perdu et quand une l’ai rattrapé il a fallu s’adapter. Prendre le train en marche.
Comme si j’avais sauté une étape, passé mon tour dans le jeu. Même si je m’y étais préparé, la séparation m’a semblé trop brutale, trop rapide, trop abrupte. Un jour j’étais enceinte, en communication totale, en liaison permanente et surtout exclusive avec mon bébé et quelques heures plus tard c’est la terre entière qui se penchait au dessus de sa petite frimousse encore bouffie et plissée.
Je n’ai eu aucune prise sur le déroulement de cette séparation, je n’ai rien maîtrisé, je n’ai fait qu’assister. Je n’ai été que spectatrice de mon propre accouchement.
Comment alors recréer ce lien unique qui nous a uni neuf mois durant ?C’est cela qui m’a manqué durant les premiers mois, le lien.
Cette absence amplifiée par la fatigue me procurait une sensation de vide absolu, de béance.
Et puis il y avait mon ventre.
Celui là même que j’avais passé neuf mois à regarder, à caresser, à admirer, à adorer. Ce ventre à qui j’avais parlé et parlé.
Tout ce qui m’en restait après mon passage au bloc n’était qu’un surplus de chair et de peau détendue, une paroi musculaire atrophiée et coupée en deux par une cicatrice que l’équipe médicale s’accordaient à qualifier de « très jolie » mais qui pour moi n’était que la preuve de mon éventration, et qui ressemblait d’après moi ni plus ni moins à une ligne de démarcation entre les parties supérieures et inférieures de mon corps.
Oui, j’avais mon bébé et je l’aimais plus que tout au monde, mais dans mon esprit, avant d’être un bébé il avait été ce ventre, ce ventre que je chérissais et qui ne s’avérait avoir été au bout du compte qu’un contenant, un outil, comme une enveloppe que l’on aurait décachetée puis froissée et mise de côté.J’avais l’impression que mon corps, que je mets tant d’énergie à soigner et à préserver depuis des années, avait été tout bonnement « utilisé » au premier degré, à savoir que l’on s’en était servi comme d’un ustensile, un outil de reproduction.
Cette image me déprimait au plus haut point.
J’adorais mon bébé, mais je ne me sentais pas maman en pratique.
Je me crispais sur le biberon, je passais mon tour pour le change, me défilais pour le bain… heureusement que papa était là.
Papa était une bien meilleure maman que moi.
Le monde entier était meilleure maman que moi.
Je me souviens d’heures entières passées à regarder fixement mon bébé dormir le plus paisiblement du monde, l’esprit en feu, bouillonnant de questions, d’inquiétudes et de doutes, incapable de prendre justement le repos dont j’aurais eu tant besoin, de vivre dans l’instant présent, de mettre ma tête et mon corps au repos. Tout mon être restait sans arrêt en éveil, préoccupé encore et encore, car même si pour l’instant tout semblait aller bien, est ce que ce serait le cas après, et encore après et après.
Les innombrables conseils prodigués par mon entourage qui se voulait attentionné et bien veillant étaient comme autant de trou percé dans la coque déjà si fragile de mon embarcation égarée dans les eaux houleuses et troubles de la maternité. Ils ne semblaient signifier rien d’autre que : tu es une mauvaise mère, tu t’y prends mal, tu es nulle.
Ils résonnaient comme tels à mes oreilles.
D’autant que les seuls conseils, les seules paroles qui auraient eu grâce à mes oreilles, auraient été ceux de ma propre mère qui, traversant elle-même une période de profonde dépression, était loin d’être en mesure d’éclairer le phare qui aurait pu me guider vers un peu de réconfort et de repos.J’avais peur, si peur de lui faire du mal malgré moi à ce bébé que j’aimais tant.
Ce bébé que je trouvais si parfait j’avais si peur de l’abîmer, par ignorance, par maladresse. Quand par un concours de circonstance des plus aléatoire je trouvais enfin le sommeil pour une heure ou deux, je faisais des cauchemars dans lesquels il était question entre autre de rater une marche de l’escalier avec mon bébé dans les bras.
J’avais peur de mal m’y prendre, de faire les mauvais gestes.
Si peur que tous ces gestes de soins qui sont sensés faire le bonheur des mamans, que les petites filles imitent par jeu dès le plus jeune âge, ne représentaient pour moi rien d’autre que la cause de tourments infinis, d’autant que je devais les répéter encore et encore, encore et encore.
J’ai cru que ça ne finirait jamais, je plus jamais je ne sortirais de mon appartement, que plus jamais je ne dormirai, que plus jamais je n’aurais de plaisir en nulle chose.
Je broyais littéralement du noir.
Le diagnostic libérateur
Je pensais que la reprise du travail m’aiderais à voir le bout du tunnel, que renouer contact avec « le monde extérieur » et me sentir utile à autre chose qu’à donner des biberons et changer des couches me permettrait de m’extraire de cette incessante tourmente et surtout de retrouver un peu du « moi » d’avant.
En réalité cette reprise n’ai fait qu’accentué mon mal être, mon angoisse et ma sensation d’égarement.
Je ne savais plus vraiment qui j’étais, je ne me sentais pas mère, mais je ne me sentais plus la « moi d’avant » non plus… je ne savais plus qui j’étais et j’avais l’impression de ne plus être à ma place nulle part.
7 mois ont passé sans que je ne retrouve ni plaisir, ni sérénité.
La vie me semblait une interminable épreuve.
Je ne riais plus jamais de bon coeur, mon sourire était plaqué sur mon visage tel un masque de bonheur feint.
Je ne voulais pas montrer cette souffrance, elle me faisait honte.
Je me sentais terriblement honteuse car objectivement cette souffrance n’avait pas lieu d’exister : j’avais « la chance » d’avoir pu donner la vie à un bébé en parfaite santé, très calme et réglé comme une horloge, qui avait fait ses nuits à 3 mois piles.
Ma grossesse et mon accouchement s’étaient déroulés sans aucune complication ni difficulté d’aucune sorte . J’avais même reperdu tous mes kilos et cicatrice mise à part, la grossesse n’avait laissé aucune trace sur ma peau ni même déformé ma poitrine.
Seules mes amies les plus intimes et mon entourage proche, qui la subissait au quotidien, avaient vraiment conscience de cette souffrance, mais s’en trouvaient aussi démunis que moi.
Je n’aurais sans doute jamais appelé à l’aide tant j’en étais honteuse, tant je me sentais anormale de ne pas ressentir le bonheur d’être mère, de me sentir prisonnière, étouffée par cette maternité.
J’avais beau essayer de la cacher le mieux possible, cette souffrance n’a pas échappé à la vigilance de mon médecin généraliste, que j’étais allée consulter à un tout autre sujet.
Il m’a à la fois rassurée et mise en garde sur mon état.
En employant le mot dépression post partum (en voilà encore un joli mot) et en me présentant ce trouble de manière rationnel, il m’a en quelque sorte libéré de ma culpabilité et de ma honte.
Je n’étais ni une mauvaise mère, ni anomalie de la nature, j’étais juste malade. Il y aurait donc un remède.
C’est ce jour la que l’impulsion de mon retour vers la surface à été donné. Le jour ou les mots ont été prononcés.

Il m’a encore fallu de long mois, une année entière, pour trouver une relative sérénité dans mon rôle de mère et commencer à apprécier les bons moments que ce rôle avait à m’offrir.
Pour autant, et je n’ai aucun mal à le dire car je n’en ressens plus aucune honte ni culpabilité, je ne me suis sentie vraiment à l’aise et je n’ai vraiment éprouvé de plaisir à être mère qu’à partir du moment ou mon fils à acquis un minimum d’autonomie en terme de propreté et de langage.
Et je pense que c’est aujourd’hui, alors qu’il aborde son adolescence, que j’apprécie le plus notre relation.
13 ans plus tard…
Avec toutes ces années de recul, et après avoir très souvent écrit et repensé à cette période de ma vie, de notre vie, voici ce que je pense aujourd’hui.
A 30 ans je me pensais prête, adulte, assez pour assumer à mon tour le rôle de parent.
Je ne l’étais pas.
Je pense que je ne l’aurais jamais été à vrai dire j’aurais pu rester à vie dans ma zone de confort « d’adulescente » je l’assume aujourd’hui et le dis sans complexe car OUI je crois VRAIMENT que même pour une femme être mère n’est ni une fin en soi ni une aptitude innée.
Et non seulement je le crois mais je crois qu’il est important de le dire.
Même si aujourd’hui mon fils Andrea est l’une de mes plus grande fierté, que je l’aime de l’amour le plus profond et le plus puissant qui soit, je pense que ma plus belle réussite et celle d’avoir assumé une maternité pour la quelle je n’étais fondamentalement pas programmée.
Alors aux jeunes femmes qui ne ressentent pas ce besoin fondamental d’être mères : vous n’avez pas à en culpabiliser ni à vous en sentir anormale.
Vous êtes une femme mais vous êtes avant tout une personne et ce n’est pas parce que votre appareil génital vous permet de mettre au monde un enfant que vous êtes OBLIGÉE de le faire. (voir plus sur ce sujet ici : https://toutesmesvies.com/2019/10/18/en-avoir-ou-pas/)
Aux futures et jeunes mamans ensuite : ne culpabilisez pas si vous « ne sentez » rien, que malgré tout l’amour que vous portez à votre bébé vous avez l’impression de ne pas le comprendre d’être dépassée par ces besoins qui vous paraissent infinis…
Parfois l’amour ne suffit pas.
Ne vous sentez pas anormale , ne restez pas à la marge, la vie est trop courte pour en perdre de si précieux moments.
Osez appeler à l’aide, n’ayez pas peur de le dire : je ne me sens pas à l’aise dans mon rôle de mère, je ne me sens pas heureuse… ne culpabilisez pas.
N’oubliez JAMAIS qu’avant d’être des femmes ou des mères que nous sommes avant tout des individus, des personnes complexes dont les choix et les ressentis sont indépendants de cette capacité d’enfanter dont nous à doté la nature.


Quel article puissant!
Merci de l’avoir écris et partagé.
C’est important d’en parler. De le dire. Pour soi, pour les autres, pour que la culpabilité cesse, car souffrir est déjà bien suffisant dans ces cas là, sans que nous ayons besoin d’une couche supplémentaire à notre douleur.
Encore merci.
Bel exemple aussi du chemin parcouru et de la sérénité retrouvée.
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Un grand merci pour ce retour qui me touche beaucoup… C’est en effet une des expériences de ma vie de femme que j’avais vraiment à coeur de partager, l’une de celle qui a motivé la création de ce blog… Il n’y a rien qui puisse me faire autant plaisir qu’un retour comme le tien parce que cela montre que mon but est atteint.
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