


Révélation
Je fais glisser machinalement les cintres sur le portant en jetant un coup d’oeil rapide sur chaque pièce… non, pas de coup de coeur ici non plus. Pas vraiment ce que je recherche en tous cas. D’ailleurs qu’est ce que je recherche en fait ? Pourquoi je suis rentrée dans cette boutique ? Non que je ne me souvienne pas y être entrée, je ne suis pas frappée d’amnésie soudaine ni d’une quelconque sénilité précoce mais je me demande pourquoi, c’est à dire dans quel but, motivée par quel type d’achat ? Et ça, à vrai dire je n’en ai pas la moindre idée…
Je fais partie de ces acheteuses compulsives pour qui une simple promenade en ville un jour ouvré est tout bonnement impossible : ça ne peut pas être une promenade satisfaisante si elle ne comporte pas au moins un passage en caisse.
Les portes des boutiques sont ouvertes, les vitrines éclatantes de lumières et de couleurs, les vendeurs.ses me tendent les bras et me sourient de toutes leurs dents.
Oui, c’est sûr : il y a forcément un besoin au fond de moi qui ne demande qu’à être assouvi. Il suffit de le trouver.
Tenez, ce magnifique petit pull par exemple qui me tombe sous la main : il est beaucoup trop bien coupé, beaucoup trop doux et beaucoup trop dans ma taille pour rester pendu là, dans l’indifférence générale ! Je le vois déjà sur moi ! Oui, c’est sûr, c’est de lui dont j’avais besoin sans même le savoir !
Au moment ou je m’apprête à le décrocher du portant pour l’observer de plus près et m’accorder les environ 40 secondes de réflexion qui le feront basculer du statut de pull anonyme à celui de pull de Céline, un timide « j’ai peur… » se fait entendre du haut de l’escalier menant à l’étage de la boutique. Une voix enfantine et à peine audible, mais assez pour me faire lever les yeux, me sortant ainsi de ma torpeur acheteuse et oubliant quasi-instantanément mon presque nouveau pull préféré.
Je balaye rapidement des yeux les alentours à la recherche d’une mère accourant secourir son enfant pétrifiée mais rien ne bouge. « Mamaaaan… j’ai peeeeeur » cette fois je suis le regard de la petite fille coincée en haut de l’escalier qui se désespère de voir venir sa mère l’aider à venir à bout de cette descente infernale.
Je localise alors la mère, au rez de chaussée de la boutique, dans l’état de transe acheteuse dans lequel je me trouvais il y a à peine une minute, mais à un stade différent : la vendeuse est en train de lui annoncer que la taille recherchée du jean élu du shopping du jour, n’est vraisemblablement pas en stock.
Dans un élan compatissant à la fois pour la mère qui, la pauvre, semble avoir peu de chance de repartir avec le précieux sésame comme le semble l’indiquer l’expression faussement dépitée de son interlocutrice, et pour cette adorable fillette tétanisée en haut de l’escalier de la mort, je revêts ni une ni deux ma cape de super Céline et vole au secours de cette misérable créature abandonnée.
En un instant, je franchis la volée de marches qui nous sépare et lui tends la main pour l’aider à surmonter sa peur et affronter la terrible descente. A ma grande surprise, elle n’a pas une seconde d’hésitation avant de s’agripper à ma main tendue – peut être a-t-elle l’habitude d’être secourue dans des lieux publics par des inconnus.es ?
Je ne préfère pas m’attarder sur cette pensée qui risquerait de déclencher en moi une avalanche d’à priori négatifs sur sa mère et je ne suis d’une humeur plutôt positive qui ne m’incite pas à me laisser aller à des jugements hâtifs et potentiellement méchants.
De toute façon toute forme de pensée négative est immédiatement anéantie à l’instant ou je sens sa petite main chaude et potelée se nicher au creux de la mienne et ses petits doigt se refermer sur elle : une auréole vient s’accrocher au dessus de ma tête, un hymne glorieux retenti pendant que nous descendons les marches une à une, la scène se déroule au ralenti, je rayonne. Je m’imagine alors franchissant la dernière marche, sous les acclamations des personnes présentes. La mère, venue récupérer sa progéniture, nous accueille avec dans le regard une promesse de gratitude éternelle et n’en fini pas de me remercier de lui avoir ramené sa petite fille saine et sauve… Oui ! c’est mon heure de gloire !
En réalité, la dernière marche à peine franchie dans l’indifférence générale, la petite court vers sa mère, sans la moindre expression de gratitude envers moi. Mère qui n’aura sans doute jamais connaissance ni de mon acte de bravoure ni même de la situation périlleuse dans laquelle s’est trouvé son enfant cet après midi là, étant restée pendant toute la durée de la scène dans un état second en quête désespérée de la taille manquante…
Mais peu importe, j’ai continué de rayonner intérieurement jusqu’à la fin de cette journée.
« Tu verras, le temps passe trop vite ! »
Etrange comme une même situation, sans la moindre importance dans la vie de quelqu’un (cette petite fille avait déjà sans doute oublié cette scène le soir même), peut prendre une toute autre dimension dans la vie d’une autre.
Car la sensation de cette petite main s’agrippant à la mienne a fait remonté en moi une immense vague de souvenirs et de tendre nostalgie qui ne demandait certainement qu’un déclencheur comme celui ci pour déferler et me submerger.
J’ai réalisé et accepté à quel point, aujourd’hui, mon fils devenu adolescent, certains aspect de la maternité d’un petit enfant me manquent.
Oui moi qui , enfant, détestais jouer à la poupée.
Moi qui, jeune adulte, me demandais en quoi la maternité pouvait bien être un lieu de réalisation pour une femme, à tel point que je me posais la question de ma réelle envie de devenir mère (toute l’histoire est à lire ICI)
Moi qui, jeune maman, regardais mon bébé avec angoisse et stupeur (celle ci est à lire ICI)
Moi qui, durant les 3 premières années de vie de mon bébé espérait que le temps passe vite, qu’il grandisse vite, qu’il soit vite plus autonome, moins dépendant de moi.
Je me souviens même avoir langui cette période d’adolescence ou il pourrait se lever sans nous réveiller, aller et venir sans accompagnement, se préparer à manger… bref je languissais le moment ou il n’aurait plus besoin de moi.
Oui, je l’avoue, je me sentais écrasée, étouffée par cette responsabilité inhérente aux besoins primaires d’un autre individu et je n’avais qu’une hâte, que ça s’arrête.
Chaque étape de l’évolution de mon fils vers l’autonomie était pour moi un soulagement.
Jamais je n’aurais imaginé un seul instant que ce costume de maman, qui me semblait alors bien trop grand et parfaitement inadapté, puisse me manquer un jour.
Oui, même si j’adore l’adolescent qu’il est devenu et que sa transformation présage qu’il deviendra un adulte qui me rendra fière à tout point de vue, parfois mon petit garçon, mon bébé, me manque énormément.
Et je n’aurais jamais pensé que cela m’arriverait un jour, à moi !
Lorsqu’on me disait : profite bien de ton petit garçon, tu verras, le temps passe trop vite…
Je pensais : béni soit le temps qui passe vite et s’il pouvait passer encore plus vite ça m’arrangerait tellement !
Parce que, de mon point de vue, le temps passé à me creuser la tête pour occuper les dimanches après-midi pluvieux, à mourir d’ennui sur les bancs des parcs, à planifier les gardes pendant les vacances et à courir d’inscriptions au centres de loisir en sorties de périscolaires, les samedis matins dans la salle d’attente de SOS Médecins et les soirées aux urgences… Ce temps là, voyez vous, ne me paraissait pas passer tellement vite à moi !
Ce que je réalise aujourd’hui c’est que j’étais tellement absorbée par cette angoisse et tellement dans la projection de « l’après » que je n’ai pas su voir ni profiter pleinement des bons moments que pouvaient m’apporter ce présent auquel je voulais échapper à tout prix.
En un clin d’oeil ou presque !
Et voilà que , je me retrouve aujourd’hui nostalgique de mon bébé et de mon petit garçon perdus à jamais.
Perdues, ses joues rebondies, aussi appétissantes que des petites brioches toutes chaudes, à la merci de mes bisous.
Perdue, sa petite voix qui réclame le bisous du soir et encore une histoire.
Perdue, sa petite main aux doigts potelées qui se glisse par réflexe dans la mienne dès la porte franchie.
Perdus, ses grands yeux plein d’admiration devant le camion de pompier du manège ou les vagues de la mer.
Perdus, mes bisous salés dans sa nuque si douce à la peau brunie et au duvet blondi par le brûlant soleil d’été.
Perdues, les attaques de chatouilles et ses fous rires de bébé à en s’en couper le souffle.
Perdue, la porte de la chambre qu’il faut laisser entre-baillée.
Perdue, cette sensation d’être une héroïne après avoir validé l’absence de monstre dans le placard et celle de fantôme derrière la porte.
Perdus, ses câlins ensommeillés et fiévreux quand, terrassés par un méchant rhume, nous passions la journée sous un plaid à somnoler en duo sur le canapé.
Perdus, les goûter en ville en tête à tête, les cappuccinos et leur montagne de crème chantilly du dimanche matin.
Du jour au lendemain m’a t il semblé, la petite voix cristalline qui réclamait son histoire du soir et encore un bisous a revêtu une tonalité de basse pour demander de fermer la porte de la chambre en sortant.
La petite main est devenue plus grande que la mienne et a pris son indépendance pour marcher dans la rue.
Les épaules sont devenues trop larges pour que je les enlace, les joues ont perdue leurs rondeurs et leur douceur enfantine et sont devenue réticentes aux bisous.
Tout cela en un clin d’oeil ou presque.







Je savais que tout cela arriverait, que le tsunami de la puberté ébranlerait l’alchimie mère-fils. Je m’y étais préparée et il ne m’effrayait pas.
Mais ressentir un tel manque, je ne m’y attendais pas.
En réalité au delà du manque physique, presque chimique, d’embrasser et de câliner mon bébé, c’est un sentiment mêlé de nostalgie et de regret qui m’habite.
Le regret de ne pas avoir su profiter de cette période à sa juste valeur, d’être toujours dans la tourmente, d’être dans l’angoisse de la suite ou de ce qui pourrait arriver au lieu vivre vraiment au présent.
Si je pouvais revivre cette période en étant dans l’état d’esprit dans lequel je suis maintenant, je réalise à quel point mes ressentis seraient différents.
Mais voilà, c’est fini maintenant, et c’est la vie !
Je sais maintenant que n’ai pas de temps à perdre à ruminer le passé, j’ai appris à vivre pleinement au présent.
Alors le temps que je passe avec mon ado, chaque minute de complicité qu’il veut bien m’accorder, chaque petit bisous si furtif soit-il, je les apprécie pleinement, comme des moments uniques et précieux.
Je l’aime infiniment et cet amour, lui, est éternel.

Tu as bien raison, tout va si vite.
J’ai aussi rêver que les jumeaux tiennent leur biberon, marchent… et puis j’ai décidé de mettre sur pause quand leur sœur est arrivée.
Souvent je me dis : tu verras quand il faudra les tirer du lit pour le déjeuner familial… tu râleras aussi 🙂
enfin le réveil à 6 heures un dimanche ca pique quand même!
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