Histoires d’Amitiés

L’amitié ne supporte aucun arrangement. Elle réclame l’entière sincérité des deux parties. Prendre une bière et faire trois blagues, on est toujours sûr d’y arriver. Mais rencontrer quelqu’un avec qui on puisse vraiment discuter, ça c’est quelque chose de rare.
Virginie DESPENTES

Mes amies, les amours de ma vie.

J’ai à coeur d’évoquer ici trois amitiés qui font partie de mon histoire.
Elles sont une composante à part entière de ma vie de femme qui ne serait pas la même sans elles.
Elles m’ont, chacune à leur manière aidé à me construire et à être la personne que je suis aujourd’hui.
Trois amies, trois histoires, trois personnalités et trois types de relations différentes.
Ces trois amitiés si différentes me sont aussi vitales qu’indispensables.
Je ressens depuis quelque temps déjà une forme de nécessité à les mettre en mots, comme un hommage bien mérité à ces trois magnifiques personnes que j’ai eu la chance de trouver sur mon chemin, à ces partenaires de vie.

Si vous me demandez aujourd’hui quelle est ma plus grand richesse, je vous répondrais sans hésiter que c’est celle d’avoir des amitiés comme celles-ci dans ma vie…
Celles-ci, mais pas seulement. Toutes celles qui ont traversées ma vie et sont encore présentes pour certaines, comptent et ont comptées, toutes sont des composantes de ce que je suis, de mon histoire, de mes souvenirs, et je les chéris comme des trésors, car pour moi rien, jamais, ne remplacera cette richesse humaine.

Première partie – Ma plus ancienne (A.)

Eté 2000, j’ai 23 ans.
Mon téléphone portable, le dernier modèle tendance chez les jeunes working girls en cette première année du millénaire, un mini Motorola noir à clapet que j’étais très fière de pouvoir m’offrir (même si au delà des 15 minutes d’appel il donnait l’impression de s’être passé la moitié du visage a pleine puissance dans un four micro ondes), affiche un numéro entrant inconnu de mon répertoire.

J’ai toutefois une petite idée de l’identité de l’appelant puisque j’attendais plus ou moins son appel. J’avoue que j’espérais que ce serait plutôt « moins » que « plus », ne sachant pas vraiment à « quoi » ou plutôt à « qui » m’attendre après toutes ces années sans avoir été en contact.

Nous parlons là d’une époque ou les réseaux sociaux n’en étaient qu’au stade de graine dans le cerveau de leur futurs créateurs et ou « se perdre de vue » signifiait vraiment « se perdre de vue », c’est à dire n’avoir plus aucune nouvelle d’aucune sorte.

Sauf si, comme cela c’est produit dans notre cas, l’ancêtre des réseaux sociaux, à savoir les conversations entre mères qui se rencontrent au hasard des rues de notre petite ville d’origine, parvenaient à faire aboutir une demande « d’ajout d’ami » qui se concrétisait ce jour là par la sonnerie de mon téléphone portable.

Selon la légende répandue par nos mères respectives, notre amitié est née lors de notre première demi-journée d’école maternelle à l’issue de laquelle, alors agées de 2 ans et demi toutes les deux, nous étions d’ores et déjà devenues inséparables.
Elle, la petite poupée aux légères boucles blondes et aux grand yeux bleus, et moi, la brunette à la chevelure épaisse et aux joues rebondies. Dès lors, les deux ont fait la paire.
Mes meilleurs souvenirs d’enfance sont liées à elle.
Nos mercredis après-midis de jeu dans sa jolie chambre de princesse. Nous y passions des heures à jouer à l’école, à inventer des histoires avec ses poupées Barbie (dont elle possédait une bonne partie de la panoplie, en particulier le cheval et le camping-car dont je raffolais). Tours de vélos, goûter d’anniversaires, genoux égratignés, cour de récré, élastique, corde à sauter et marelle…

Nos journées chez sa grand mère pendant les vacances scolaire, sa mémé qui me paraissait alors vraiment très très vieille mais sans aucun doute proportionnellement débordante d’amour et de bienveillance. Les goûters de pain et de chocolat pris sur la grande table de la cuisine. Les heures passées dehors à explorer et à arpenter les extérieurs de cette vieille maison campagnarde, qui devenaient alors notre territoire.
Toutes ces histoires , toutes ces vies que l’on s’inventaient…
Mes tout premiers mouvements de brasse, avec son aide, dans les eaux de la mer Adriatique lors d’un voyage extraordinaire en Yougouslavie de l’époque.

Penser à ces moments partagés c’est avant tout me souvenir du bonheur, de l’insouciance et de la joie toute simple qui les accompagnaient alors…

Une vraie complicité enfantine, faite de joies simples.
Jusqu’à la fin de l’école élémentaire nous avons été « meilleures amies ».

Mais il est souvent difficile pour une amitié enfantine de passer le cap de l’adolescence sans dommage. La flamme de la nôtre s’est éteinte à l’entrée au collège, sans drame, juste un éloignement progressif du fait de l’élargissement de nos cercles sociaux respectifs et peut être un rythme d’évolution et des priorités différentes à cette époque si particulière de la vie.
A l’époque du lycée, bien que nous fréquentions des établissements différents, nous nous voyions quotidiennement, car sa mère m’avait proposé de profiter de la voiture pour m’avancer jusqu’au centre de notre petite ville dans mon trajet du matin.
Nous nous saluions alors affectueusement et prenions quelques nouvelles mais elle avait alors ses amis, son petit copain, moi les miens de mon côté et nous n’avons jamais à cette époque ressenti l’envie ni le besoin de nous revoir d’avantage.
Toutefois l’affection et l’intérêt sincère que nous portions l’une à l’autre n’a jamais cessé d’exister.

C’est cependant avec une certaine appréhension que je prends cet appel.
D’après les informations glânées par ma mère auprès de la sienne, mon amie d’enfance traversait une période difficile, et sa mère espérait que reprendre contact avec ses anciennes amies (moi en particulier) l’aiderait à affronter cette tempête.

M’étant attendue à entendre la voix que quelqu’un « au bord du gouffre » au bout de la ligne, je m’apprêtais à dégainer toute l’artillerie d’apitoiement verbal que j’avais en stock, et à endosser mon costume de « super-consolatrice » non sans quelque doute sur son efficacité étant donné qu’il me semblait ne plus vraiment connaitre la personne à qui je m’apprêtais à m’adresser.

Pourtant dès les premiers mots échangés, tous mes doutes, toutes mes craintes se sont envolées, j’ai su immédiatement que je n’aurai besoin ni d’artillerie ni de costume quelconque, j’ai instantanément été envahie par cette sensation de me retrouver « chez moi » et compris que je pouvais juste « être moi », que cette conversation coulerait avec autant de fluidité, de sincérité et de justesse que celles que nous avions enfants, assises sur la moquette dans sa chambre de princesse ou sur le banc devant la maison de sa mémé. J’ai alors réalisé à quel point elle m’avait manqué.

Ont suivi des mois de retrouvaille intenses, durant lesquels nous avons littéralement fusionnées. Nos parcours de vie nous avait un temps séparés certes, mais en réalité notre amitié profonde était restée intacte et les jeunes adultes que nous étions alors pouvaient en prendre toute la mesure : c’était comme avant mais en mieux !

Durant ces quelques mois nous sommes devenues inséparables et avons rattrapé des années de fous rires, les confidences et d’émotions à partager. Et puis nous avions à nous raconter ces années de vie durant lesquelles ils se passent généralement beaucoup de choses…
Et pourtant, tout ce temps passé, tout notre vécu avait laissé notre complicité intacte.
La connexion a été rétablie cette année là et n’a jamais été coupée depuis.

20 ans déjà. Vingt années traversées côte à côte, sans jamais rompre le lien malgré le tumulte dans lequel nous entraîne nos vies, et le peu d’occasion que nous avons de nous voir.
Mais chaque appel que nous prenons le temps d’échanger, chaque moments passés ensemble, je les apprécie et les savoure. Ils me laissent immanquablement le coeur léger et le sourire aux lèvres.
Comme une bulle d’oxygène, un petit shoot de joie intense.

Alors, c’est vrai, notre relation n’a jamais retrouvé l’intensité de ces quelques mois de retrouvailles extraordinaires et parfois elle me manque car il arrive que nous passions des mois sans nous voir.
Mais elle est et sera toujours précieuse à ma vie. Et je l’aime.

Deuxième Partie – Ma meuf (S.)

Septembre 1995, j’ai 19 ans
Je scrute discrètement mais attentivement les autres personnes avec qui je patiente dans le couloir du lycée en attendant l’ouverture de la salle de cours en cette pré-rentrée de ma première année de BTS. Des filles, que des filles évidemment, même si le BTS s’appelle « Assistant de Direction » en réalité ne se trouvent ici que de futures assistantES…

Ca ne me change pas trop de la filière littéraire de laquelle je suis issue et dans laquelle évoluaient essentiellement des filles et ça me va, ça me plait assez d’être « entre meufs ».

Au fond du couloir, la porte principale s’ouvre sur un visage qui ne m’est pas inconnu. Le regard inquiet et une expression presque dubitative qui pourrait laisser penser qu’elle se demande elle-même ce qu’elle vient faire ici, la jeune femme qui vient d’entrer adresse une vague salutation à l’assemblée déjà présente avant de prendre la posture d’attente que nous avions toutes adoptée.
Je la reconnais pour l’avoir croisé dans mon ancien lycée. Sans la connaitre, j’ai un à priori négatif à son sujet. Mais en même temps elle m’intrigue.
Par son apparence en premier lieu, une féminité bien assumée pour nos jeunes âges, un naturel élégant et soigné, elle savait mettre en valeur sa beauté naturelle sans trop en faire et ça me rendait très admirative, et peut être un peu jalouse ?
Je ne sais pas pourquoi ce physique et cette apparence très soignée me laisse imaginer un caractère dominant, une grande confiance en soi et une tendance à mépriser ses pairs.
Je ne tarderais pas à comprendre à quel point je me trompais et à apprendre combien les apparences peuvent être trompeuses.
En tous cas, pour l’heure, c’est le seul visage connu parmi l’assemblée qui semble composer « ma classe » pendant les 2 prochaines années. J’allais donc devoir faire avec.

Nous n’avons pas échangé un mot ce jour là, mais c’est naturellement que nous nous sommes dirigées l’une vers l’autre en attendant le bus qui allait nous conduire à notre « séjour d’intégration », deux jours dans un centre de vacances dans le Vercors dont le but était justement de faire connaissance les unes avec les autres (enfin plus exactement les uns avec les autres puisqu’il y avait finalement un garçon dans cette promo) et d’initier une cohésion entre nous.

Il ne nous a pas fallu plus des deux heures de trajet pour laisser tomber tous les préjugés que nous avions l’une envers l’autre et pour tomber éperdument et sans retenu « en amitié » l’une pour l’autre. A tel point que le soir de cette première journée venu, nous avions déjà l’impression de nous connaitre depuis des mois.
Nous n’arrivions plus à arrêter de parler et nous étonnions à chaque sujet évoqué de constater à quel point nos ressentis était similaires, à quel point nous semblions être des jumelles sur le plan émotionnel, et semblables dans notre façon de raisonner.
Il y avait là quelque chose de l’ordre de la magie. Une alchimie, un coup de foudre amical.

Nous évoquons souvent ces premiers pas dans notre longue histoire d’amitié avec beaucoup d’émotion.

Pendant les deux années de BTS on peut dire que nous n’avons pratiquement été qu’une seule et même personne. Un binôme inséparable en cours comme à l’extérieur. Une entente parfaite, un soutien mutuel de chaque instant.
Fous-rires, larmes, coups de blues deux années émotionnellement intenses dont nous garons un souvenir très fort et assez précis.

Nous ne formions pratiquement qu’une seule et même personne.

Aujourd’hui encore, je peux dire que je n’éprouve envers personne le niveau d’empathie que je ressens vis à vis d’elle : c’est comme une connexion.
Nous avons mutuellement besoin l’une de l’autre, depuis ce jour ou nous avons échangés nos premiers mots dans ce car qui nous emmenait à Autrans, Vercors.
Nos existences se sont mêlées et liées.
Pas un besoin toxique, possessif ou dépendant, non. Un besoin sain et naturel, comme une évidence, celle de ne plus concevoir nos vies sans la présence de l’autre, dans nos existences respectives, même si ce n’est pas une présence physique.

Les années ont passé mais notre relation est restée sur le même mode.
Toujours présente l’une pour l’autre, nous nous sommes soutenues à tour de rôle dans les moments difficiles de nos vies.
Cette facilité que nous avons eu dès le départ à se comprendre et à communiquer sans filtre, à s’écouter vraiment, si rare, est aujourd’hui, la maturité de la quarantaine aidant, plus forte que jamais entre nous.

Je n’imagine pas ma vie sans elle, et j’ai l’inébranlable certitude que nous vieillirons ensemble. Elle est ma « meuf » pour la vie !

Troisième partie – Ma soeur (N.)

Décembre 1992, j’ai 16 ans.
Je ne peux retenir une larme lorsque la voix du chant lead de ce choeur de Gospel s’élève et empli l’espace de son timbre qui me prend littéralement aux tripes… je laisse rouler librement sur ma joue : trop d’émotions pour une seule soirée. Dans la pénombre de la salle de spectacle, ma main trouve celle de l’amie assise à mes côtés et nos coeurs se joignent dans ce moment de magie pure. Je sais que nos sensations à cet instant sont identiques.
Si nous sommes là, c’est grâce à elle. Elle m’a offert une place pour ce show des Harlem Gospel Singer’s, dont elle m’a fait la surprise le soir même de mon anniversaire !
C’est la première fois que j’assiste au concert d’une chorale Gospel et j’en suis bouleversée. La puissance des voix, la magie des harmonies m’envoûtent, me transportent et me touchent au coeur.
Ce souvenir et les émotions associées sont gravées en moi de telle sorte qu’ils se manifestent encore aujourd’hui chaque fois que j’ai l’occasion d’entendre de la Musique Gospel en live.

Notre amitié est alors toute nouvelle et je suis d’autant plus touchée par son attention.

Nous nous connaissons alors depuis plus d’un an car nous étions dans la même classe en seconde, année durant laquelle nous avions chacune tissés d’autres liens.
Mais dès notre entrée en classe de première nous nous sommes rapprochées de manière assez naturelle, je ne sais dire exactement comment.
Un lien fort s’est créé de manière assez rapide, avec comme base notre sensibilité commune pour la musique et le chant.

La musique, classique comme populaire, faisaient partie de sa culture familiale, dont chaque membre était à la foi musicien et mélomane.
Nous avions à peine 16 ans et pourtant la pratique et les connaissances musicales paraissaient chez elle à la fois comme un savoir de base, comme celui de lire ou compter, et un besoin élémentaire, comme boire ou manger. Il paraissait évident que cela faisait partie d’elle depuis toujours.

J’avais une expérience toute différente de la musique, une éducation musicale plus passive qu’active : je la « consommais » mais je ne la pratiquais ni ne l’étudiais.
Pourtant elle faisait également partie de ma vie depuis les comptines de l’enfance que je chantais avec ma mère jusqu’à la découverte de mes propres sensibilités musicales. Notre maison était rarement silencieuse : il y avait toujours un fond sonore, et si ce n’était pas celui de la radio, d’un disque ou d’une cassette, c’était celui de la voix de ma mère, qui chantait ou fredonnait continuellement.
Et puis à partir de 8 ans, chaque dimanche, je faisais l’expérience de la musique « en vraie », celle des louanges à l’Eglise évangélique que fréquentaient mes parents. Une expérience irremplaçable et marquante qui m’ a appris que la musique pouvait « se ressentir » physiquement.
Quoiqu’il en soit, à l’époque en ce qui me concernait, le solfège et la technique musicale en générale semblait basées sur une logique qui m’échappait totalement, j’admirais d’autant plus sa maîtrise et ses connaissances.
C’est avec elle que j’ai découvert ma voix et le plaisir de chanter.
Le plaisir mais aussi la dimension libératrice, thérapeutique du chant.

C’est avec et grâce à elle, bien des années plus tard, que j’ai fait l’expérience de la scène avec cette sensation chaque fois renouvelée de réaliser un rêve d’enfance.

Mais au delà de ces passions communes, se sont installées entre nous très vite une confiance et une véritable écoute mutuelle, un échange d’une qualité assez rare dans les relations que l’on tisse à cet âge.
Nous étions du même monde, de la même classe sociale, nos parents avait le même âge (et le même prénom pour nos mamans !) et nous avions été éduquées sur un socle de valeurs communes.

Et de ce fait, même à 16 ans, âge ou l’on éprouve souvent de la gêne à être soi-même et à se dévoiler dans son intimité familiale, avec elle je n’éprouvais aucune difficulté à être vraiment naturel, sans honte, sans complexe.

Bref, nous étions de la même famille.

Outre la musique, nous aimions les mots et les livres, entre autres passions communes, fondement d’une amitié faites de beaucoup d’échange et de partages aussi enrichissants et passionnants qu’émouvants.

Posée et réfléchie, à l’écoute, pour moi elle est celle qui trouve souvent les mots justes, qui a su me rassurer et me donner confiance et courage chaque fois que j’en ai eu besoin.
Elle m’a sans doute aidé, sans le savoir, à faire les pas les plus importants de ma vie. Avec elle je suis en confiance, pleine et entière, comme avec une soeur, mais en mieux.
Et sans elle, c’est certain : je ne serais pas qui je suis.
Pour cela je ne lui dirait jamais assez merci.

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