Mon TCA, un trouble très envahissant

Mon expérience, mon histoire, mon trouble.

Voici un texte que j’ai publié au printemps dernier sur mon compte Facebook.

Eté 2012, je pose à la piscine avec mon fils Andrea, alors 5 ans et demi. Cette photo est la première photo que j’ai publiée sur mon Instagram. Elle montre une jeune femme souriante, rayonnante même, à la peau brunie par le soleil…
Une jeune femme de 35 ans au corps mince et sculpté, un corps qui pourrait paraître quelques années de moins et qui a toutes les apparences d’un corps en parfaite santé. Et c’est le cas. Ce corps est bel est bien en pleine santé.
Mais en réalité c’est celui d’une personne malade.
Sur cette photo il y a une personne qui souffre d’un syndrome dépressif chronique qui se manifeste plus ou moins intensément selon les cycles et évènements de la vie.
Le seul symptôme vraiment constant de ce syndrome, qui ne la quitte jamais depuis une vingtaine d’année est un trouble du comportement alimentaire (TCA) nommé anorexie.
Elle a été longtemps dans le déni de ce trouble pourtant diagnostiqué à plusieurs reprises. En effet, comme la plupart des gens, elle était persuadée que les personnes anorexiques ne pouvaient être que des personnes sous alimentées à l’extrême, victimes de carences qui les menaient irrémédiablement à l’hôpital… Ce qu’elle ne voulait pas admettre c’est que l’anorexie est avant tout un cheminement auto-destructeur d’ordre psychique et que, sans forcément avoir des conséquences physiques graves, c’est un trouble qui occasionne de terribles souffrances mentales, des obsessions qui mènent à une détresse et une fatigue psychologique intense et profonde allant parfois jusqu’à l’envie de mourir.
La photo ne montre pas la lutte acharnée que je mène contre ma propre nature depuis des années.Elle ne montre pas la volonté féroce, destructrice, de vouloir garder le contrôle à tout prix.
Elle ne montre pas les calculs les tourments sans fin engendrés par le conflit permanent entre les obligations sociales, les vraies envies d’une part et les obligations dictées par l’obsession, le besoin impératif de contrôle.
Elle ne montre pas la liste des aliments interdits.
Elle ne montre pas la panique mêlée de détresse quand le mauvais chiffre s’affiche sur la balance.
Elle ne montre pas la faim… celle qui rend triste et irascible…
En réalité le contrôle de mon poids a dicté pendant des années mon mode de vie tout entier avec des périodes de pics restrictifs particulièrement stricts dans des moments tourmentées de mon existence ou le contrôle de mon corps me permettait, je crois, de me donner l’impression d’exister.
Exister aux yeux des autres surtout. Ainsi fonctionnait mon inconscient. J’avais l’impression que c’était uniquement en gardant ce corps « sous contrôle » cette silhouette parfaite, que je resterais une personne digne d’intérêt, d’attention, d’amour…L’impression que si je me « laissais aller » à ma propre nature, alors je redeviendrais invisible, transparente, semblable à cette ado empâtée, mal dans sa peau et bourrée de complexes, qui se trouvait trop petite, trop grosse, qui ne montrait jamais ses jambes et passait ses étés en jean et à laquelle j’avais enfin réussi a échapper vers l’âge de 20 ans lorsque j’ai découvert que je pouvais « prendre le contrôle ».
Quelles raisons me poussent à faire ce « coming out » aujourd’hui ?
Peut être le besoin de démontrer que l’image que renvoie une personne est parfois bien différente de la personne qu’elle est vraiment, que si l’on s’intéresse vraiment à quelqu’un il faut parfois savoir aller au delà des apparences. Parfois le masque peut être très opaque.
Peut être aussi le besoin de dire que lorsque je m’insurge contre les titres des magazines féminins à l’approche de l’été, lorsque je fustige le concours de Miss France (où il s’agit de juger des femmes sur des critères précis de mensurations), ce ne sont pas de ma part de simples gesticulations pseudo-féministes. Il s’agit d’un cri d’alarme qui vient de mes entrailles, de l’expression d’une souffrance ressentie au plus profond de moi.J’ai envie de hurler : ne voyez vous pas le danger ?
Selon moi faire prospérer ce culte de l’image et de la perfection, véhiculer l’idée que les défauts physiques d’une femme sont autant de faiblesses, que sa réussite est forcément liée à certains critères physiques peut se révéler aussi dangereux que s’il était clamé haut et fort : roulez bourrés ou fumez pour être en bonne santé !
Car oui les injonctions à la minceur peuvent bel et bien engendrer des comportements pouvant mener à la mort. C’est une réalité. Et sans aller jusque là, je crois que je suis loin d’être la seule à ressentir violemment cette pression et que bien des femmes ressentent la culpabilité de ne pas répondre aux « critères » et la vivent comme une vraie souffrance.
A celles ci je veux dire : nous ne sommes pas des bêtes d’élevage destinées à une consommation quelconque, nous n’avons à respecter aucune normes physiques, aucun critère qui viseraient à nous classer par catégories comme le font les applications pour les produits de consommation.
La vie est trop courte pour se priver du meilleure qu’elle a à nous offrir, sans réserve et sans tourment.
Deux décennies de restriction, d’angoisses, de calculs, de culpabilité, sans que jamais, jamais ma propre image ne trouve grâce à mes propres yeux. Et quand par miracle le poids sur la balance et l’image que me renvoyait le miroir étaient jugés acceptables le répit ne durait pas plus de quelques heures car très vite l’angoisse de reprendre du poids, reprenait le dessus et m’entraînait à nouveau vers cette spirale infernale d’hyper activité physique et mentale.Je souffrais avant tout de ne jamais trouver la sérénité.L’obsession était là, omniprésente quoique je fasse.
Derrière cette obsession il y avait en réalité un immense et insatiable besoin d’être aimée, reconnue, un besoin qui m’a parfois emmené dans des travers aussi sordides que destructeur pour moi et pour les autres.
Un grand vide qui ne semblait jamais pouvoir être comblé. Je n’avais pas compris alors que ce grand vide c’était avant tout à moi même de le combler par l’auto acceptation et la bienveillance envers moi-même, parceque le seul, l’unique amour qui me manquait c’était mon amour-propre.
M’accepter enfin telle que je suis et ne pas vouloir à tout prix être une autre. Arrêter de mener un combat perdu d’avance. Tomber le masque. Être enfin moi-même.
Depuis un an environ je suis sur ce chemin (à 42 ans il était temps !) : j’essaie de porter sur moi un regard bienveillant, d’accepter mes défauts et même d’essayer de les aimer… même si j’avoue que la route sera longue et que parfois ce pacte de paix avec moi même me paraît impossible à tenir.
Tel va être mon défi pour les années à venir.
Et j’ai confiance car je suis remarquablement soutenue dans cette entreprise par l’homme que j’aime.

J’ai fait cette publication à l’attention de mes « amis » je l’ai écrit car il était important pour moi de faire ce “coming out” à ce stade de ma thérapie. De me dévoiler vraiment. Je n’aurais pas pu avancer sans passer par cette étape.

Depuis j’ai encore fait du chemin et il me tenait vraiment à coeur de “raconter toute l’histoire”, parce que personnellement j’ai été beaucoup aidé par la lectures de publications ou d’articles racontant des expériences proches de la mienne.

Ces témoignages m’ont aidés en me montrant que l’on peut “s’en sortir”, redevenir soi même et s’aimer réellement. Ils ont été pour moi des encouragements précieux et salutaires. Alors voilà, à mon tour et je souhaite partager mon propre vécu.

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“T’as intérêt de faire gaffe… sinon tu vas voir à 40 ans….”

J’ai décidé à l’âge de 22 ans que mon IMC (Indice de Masse Corporelle) ne dépasserait plus JAMAIS 18 à savoir le minimum avant la maigreur, et encore c’était déjà trop, donc si c’était moins c’était mieux.

Dépasser 18 c’est à dire, passer dans la catégorie : “corpulence normale” pour moi signifiait être grosse.

Dépasser 44 kg : grosse.

Porter une taille supérieur à du 34 : grosse.

Cette “alerte grosse” a réglementé tout mon mode de vie pendant de nombreuses années.

“L’alerte grosse” à été mise en service dans ma tête pour la première fois le jour ou un sale con avec qui j’ai eu une aventure de quelques mois (que celle qui n’a jamais eu d’aventure avec un sale con me jette la première pierre !), après que nous ayons fait l’amour, a regardé mon cul alors que je me levais du lit et m’a dit sur un ton à la fois méprisant et alarmiste : “ah ouais alors toi t’a intérêt à faire gaffe… et tu ferais bien de te mettre au sport sinon tu vas voir… à 40 ans…” La phrase laissée ainsi en suspens m’invitant évidement à présager du pire.. Et moi, avec toute l’assurance et la confiance en moi qui me caractérisaient alors, au lieu de lui répondre “et toi tu ferais bien de commencer à te faire greffer 2 ou 3 neurones et profites en pour leur demander s’ils n’ont pas aussi un gène de la bienveillance en stock”, j’ai bien fermé ma gueule et je suis allée regarder mon cul dans la glace en me disant “ah ouais, merde, peut être bien qu’il a raison je vais faire gaffe sinon à 40 ans…”.
Alors n’allez pas croire que ce sombre connard ait tout déclenché, on va pas non plus lui donner plus d’importance qu’il n’en mérite.
Non, non, il y avait bel et bien chez moi des prédispositions à développer ce type de troubles.

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Michelle Pfeiffer, Sharon Stone, Kim Bassinger, Barbie

Fillette née à la fin des années 70 et nourrie à la télé des années 80 j’étais extrêmement réceptives aux messages diffusés par le petit écran qui me captivait et m’hypnotisait littéralement. Rappelez vous la TV des années 80 et ses égéries, les campagnes publicitaires, les films de ces années là…
On y voyaient des femmes aux silhouettes élancées, minces et affutées.
Telle est l’image de la femme que nous renvoie les médias en général et le petit écran en particulier dans les années 80 : une femme forte et indépendante, mais toujours sexy et ultra féminine : une sorte de Super Woman. Et cette image me fascinait, peut-être précisément parce que les femmes qui m’entouraient dans la “vraie vie” étaient très différentes.

Petite fille “toute simple” de la campagne Voironnaise, fruit d’une rencontre entre le monde agricole par ma mère et ouvrier par mon père.
Chez moi, on accordait pas beaucoup d’importance à son “image”. Question de milieu et de génération, on se “faisait beau” le dimanche et le reste de la semaine, il suffisait d’avoir un minimum d’hygiène et de se rendre présentable.
Ma mère, femme au foyer, portait un tablier sur sa tenue pour ne pas la salir et pouvoir la porter jusqu’à la fin de la semaine. Elle avait quelques tenues du dimanche, jour ou elle faisait sa “mise en pli” et se maquillait.
Quant aux notions de ligne et de “beauté du corps” elles étaient inexistantes dans mon environnement familial, tout comme la culture du sport. Le corps était caché par les vêtements, il n’était donc pas jugé utile d’y porter une attention particulière.
L’important était d’être heureux et en assez bonne santé pour ne pas avoir à s’en soucier. On accordait beaucoup plus d’importance aux valeurs humaines et spirituelles et on m’a appris très jeune que la  “beauté intérieure” d’une personne était plus importante et comptait davantage que son apparence physique.
Que l’amour que l’on nous porte dépend de la personne que l’on est “à l’intérieur”, et que la beauté physique d’une personne ne faisait pas forcément d’elle une personne de valeur.
Juger le corps des gens ou évoquer leur aspect physique était considéré comme impoli.
Les femmes issues de notre milieu qui accordaient beaucoup d’importance à leur apparence ou qui était soucieuses de leur lignes étaient considérées superficielles ou un peu frivoles…

Pour autant , tout comme la plastique de ma poupée Barbie, celle des égéries américaines du petit et grand écrans de l’époque fascinaient alors la petite fille que j’étais, je les trouvais sublimes, et de fait, elles étaient parfaites : Michelle Pfeiffer, Kim Bassinger, Demi Moore, Sharon Stone, Heather Thomas, Donna Milles, Robin Wright…

Américaines, oui, car pour nous, enfants des classes ouvrières des années 80, LE modèle ultime (distillé insidieusement via sa Sainteté le Petit Ecran via ses séries et autres sitcoms) venait inévitablement d’Outre Atlantique et ce dans bien des domaines.

Et puis il y avait la presse féminine… Que l’on ne trouvait pas chez moi, bien entendu.
Mais la mère de ma meilleure copine, chez qui je passais beaucoup de temps, elle, en était friande.
A l’époque, ils s’appelaient Maxi, Prima ou Nous Deux. Je me délectais de ces pages que je découvrais avec curiosité et émerveillement car la seule et unique presse que l’on pouvait lire chez moi était l’hebdomadaire La Vie “Magazine Chrétien d’Actualité”, auquel ma mère a dû souscrire un abonnement “ad-vitaem”. En feuilleter un exemplaire ne me serait même pas venu à l’esprit.
Alors que je me plongeais dans les pages de Maxi ou Prima avec délice, pour y découvrir des photos qui mettaient en lumière des femmes aux silhouettes “de rêve”, rêve qui semblait représenter la thématique principale et récurrente de la plupart des numéros : retrouvez une silhouette de sirène, dites adieu aux bourrelets disgracieux…
On y trouvait aussi d’innombrables conseils pour prendre soin de ses cheveux, de sa peau, de ses ongles, bref de tout ces attributs qui de toute évidence faisait de vous une VRAIE femme. Les visages étaient frais et rayonnant, les jambes et les chevelures longues et soyeuses et les sourires pourvus d’un nombre incalculable de dents à la blancheur éclatante. Je les trouvais magnifiques. Fascinantes. Envoûtantes.
Tous ces codes, tous ces messages plus ou moins subliminaux, j’y étais particulièrement réceptive et mon esprit les absorbait comme une éponge.

Ces modèles féminins se sont imprimés profondément dans mon lobe temporal de sorte à déterminer de manière quasi irréversible ma propre vision de la femme et donc de celle que j’aspirais à devenir.

Seulement voilà, sur le plan de l’apparence physique tout au moins, il semble que la réalité me faisait partir de bien loin par rapport à ce modèle à atteindre. En premier lieu parce que la génétique ne m’avait pas vraiment dotée des critères de bases. D’abord parce que ma croissance a décidée de faire une pause définitive à l’âge de 14 ans de sorte que je culmine encore aujourd’hui à 1,54 m.
Ensuite parce que j’étais ce qu’on peut appeler “un beau bébé”, à savoir une enfant un peu enrobée aux joues et au ventre rebondi, devenue ensuite une adolescente aux cuisses charnue et aux fesses bien rondes, taille marquée et ventre arrondi.
En bref, je ne suis pas “menue” par nature.
Ces deux caractéristiques à elles seules tendent à démontrer qu’on avait pas vraiment chercher à atteindre le résultat “silhouette fine et élancée” lors de la programmation de mon équation génétique initiale.
Mon éducation et mon rapport à la nourriture n’étaient pas vraiment non plus de nature à me m’aider à tendre vers un modèle de minceur. Je pense pouvoir affirmer de manière certaine que la notion de ligne était vraiment le dernier des soucis de mes parents. La Téraillon familiale qui m’a causé tellement de tracas par la suite ne faisaient alors peur à personne. Elle prenait tranquillement la poussière dans la salle de bain familiale sans aucun risque d’usure.

Mon corps, ce boulet

 Il semble malheureusement que tous ces beaux principes aient survolé mon subconscient de manière inversement proportionnelle à celle dont se sont incrustées les images et principes instillés par le petit écran et plus généralement par la société dans laquelle je grandissais.
Car je n’étais pas dupe, ni sourde, ni aveugle et je voyais bien moi, avec mes yeux de petite fille, que malgré tout ce qu’essayait de me faire croire mes parents, l’apparence physique avaient bel et bien une importance dans cette société.
Même sans en comprendre tous les codes, la réalité de cette société “de l’image” me sautait aux yeux. Et je me trouvais tellement éloignée de ces modèles à atteindre qu’ils me semblait aussi fascinants qu’inatteignables.
Tant et si bien que je me suis très vite sentie mal dans mon corps, j’avais l’impression de l’habiter sans qu’il fasse vraiment partie de moi et j’ai très vite méprisé son apparence. Et puis, il faut le dire, j’aimais manger, j’appréciais les bonnes choses et j’avais généralement bon appétit. Adolescente, restreindre mon alimentation aurait relevé pour moi du défi, un défi que je n’avais aucune envie de relever. Quant au sport, toute activité sportive, toute mise en mouvement, me rappelais à quel point mon corps était pour moi un fardeau, à quel point je m’y sentais mal à l’aise, à quel point il m’incommodait… je n’étais pas obèse, ni même en surpoids mais moi je le ressentais comme tel.
A 10 ans j’avais fait une année de danse. Le cours s’appelait “Modern Jazz” et j’en avais rêvé. L’année d’inscription coûtait 150 francs et ç’avait été mon cadeau d’anniversaire.
Pourtant dès les premiers cours j’ai compris que cette heure du mercredi après midi, loin d’être la réalisation de mon rêve de devenir la future Paula Abdul, allait rapidement se transformer en contrainte à laquelle je ne pourrais me soustraire. D’abord parce que ça a été ma première “expérience de vestiaire” et l’idée d’avoir à enfiler mon justaucorps et mon collant devant les autres me mettait chaque fois une boule d’angoisse au creu de l’estomac.
Ensuite de me voir dans ce grand miroir au milieu des autres, toutes ou presque plus grandes en taille, plus fines, plus gracieuses, je me sentais ridiculement petite et empâtée, nullement à ma place. L’année m’a paru interminable et le mois de juin enfin venu, lorsque ma mère m’a demandé si je voulais me réinscrire pour la suivante, j’ai simplement dit que ça ne me plaisait pas tant que ça finalement.
Plus tard il y eu le supplice des vestiaires du collège ou je devais me retrouver jambes nues devant les autres, exhiber mes petites pattes velues de brunette à l’âge pré-épilatoire, mon petit ventre rond et mes fesses grassouillettes.
Certaines de mes camarades de classe pratiquait la gymnastique au niveau compétition, j’admirais leur aisance non seulement dans la pratique du sport mais aussi dans leur rapport avec leur corps : elles se déshabillaient sans pudeur ni gêne dans les vestiaires, comparant parfois leurs morphologie ou l’évolution de leur musculature de manière parfaitement naturelle.Pendant que moi, pétrie de honte, je tirais mon pull au maximum sur mes fesses et le haut de mes cuisses et enfilais mon bas de survêtement à la hâte.

Moi qui étais si proche de ma mère, tout ce mal être je n’osais pas le lui confier, j’avais honte vis à vis d’elle de ressentir cela. Je n’aurais jamais osé lui dire que je me sentais “trop grosse” ou “trop petite”. J’avais l’impression de lui désobéir. Elle m’avait appris qu’accorder une quelconque importance à son apparence était superficiel et secondaire. Dans sa bouche, “Il faut s’accepter comme on est !” relevait d’avantage de l’injonction que du conseil bienveillant.
Alors, faute de pouvoir tout à fait obéir à ma mère et de l’accepter, je me suis accommodée du corps que j’avais.
Pendant des années, je m’en suis accommodée comme d’une fatalité.

Du boulet à la prison pour 20 ans

Durant mes deux années de BTS (que je m’étais interdit de rater) le stress, l’anxiété, le manque de temps à consacrer aux repas me causaient maux de ventre et nausées et me coupaient l’appétit. Sans y faire attention je mangeais beaucoup moins, parce que je n’avais pas faim.
Au bout d’un certain temps durant lequel je remarquais en m’habillant le matin que certains de mes vêtements devenaient trop larges, j’ai décidé de faire ce que je ne faisais alors que très occasionnellement quand le médecin me le demandait : je suis montée sur la Terraillon familiale à aiguille.
Celle-ci flirtant avec le chiffre 50 depuis l’âge de 15 ans, ça m’a fait un choc de la voir s’arrêter pile sur la graduation 45.
Je me souviens avoir été envahie d’un sentiment de fierté immense, doublé d’une intense sensation d’euphorie. Je me souviens être descendue et remontée plusieurs fois de la balance pour voir si le résultat ne changeait pas. La lecture de ce chiffre sur la balance m’a fait l’effet d’une révélation, j’ai eu l’impression de recevoir un cadeau du ciel, j’étais aux anges. Sans avoir fait aucun effort, sans même y avoir penser un seul instant, j’avais perdu 5 kg (sur 1,54 m c’est beaucoup) et atteint le poids dont je “rêvais”.
Alors je me suis regardée de plus près, et en effet, mon petit ventre avaient disparu,mes cuisses étaient plus fines, mes hanches moins arrondies… Et j’ai aimé ce corps allégé, affiné, alors j’ai décidé de ne pas reprendre ces quelques kilos perdus. Tout en continuant à manger selon mon appétit, je faisais plus attention aux “excès”  et me pesait régulièrement.
A commencé alors une période “de grâce” durant laquelle je me suis sentie merveilleusement bien dans mon “nouveau” corps.
J’avais à présent conscience de ma perte de poids et de ma silhouette affinée, et je me permettais de porter des coupes de vêtements que je ne me serais jamais autorisés avant : jupes plus courtes, pantalons ajustés, robes et tops moulants.
Et puis j’avais envie qu’on me voit, et le jour ou j’ai enfilé une paire de chaussures à talons j’ai su que je n’en redescendrais pas de sitôt !
J’avais enfin l’impression de commencer à ressembler à l’image que je me faisais d’une “vraie femme” (celle des Prima, Maxi et Femme Acutelle de mon enfance)
Avec ce nouveau corps, est née une envie démesurée de plaire et de séduire.
J’avais l’impression d’être restée transparente, invisible, dans l’ombre pendant trop d’années et d’entrer enfin dans la lumière.
Et de cette lumière, le tout jeune papillon que j’étais voulait s’en approcher toujours plus près et surtout ne plus jamais la quitter.
Cela se concrétisait par un besoin addictif qu’on me remarque, qu’on me complimente, qu’on me trouve jolie, attirante. C’était ma reconnaissance à moi, ma manière d’exister aux yeux des autres. A cela c’est ajouté mon entrée dans la vie active, l’élargissement de mon cercle “social”, et quasi inévitablement un bouleversement dans ma vie sentimentale qui avait été stable (comme mon poids) depuis l’âge de 15 ans.
Je quittais, non sans peine, mon amour de jeunesse pour me lancer dans ma toute nouvelle vie de jeune et séduisante “working-girl” célibataire et indépendante. Et devinez ce qui s’est passé ensuite ? Le sale con (vous savez celui du début) et passé par là pile à ce moment là en ajoutant son petit grain de sel, il n’en a pas fallu plus pour que l’attention que je portais à mon image en générale et à mon poids en particulier se transforme en obsession.
Ajoutez à cela qu’on était en 1998 et que, toujours très réceptive à l’image de la femme que me renvoyait les médias et désireuse d’y coller au plus près, mes “modèles” de l’époque à l’écran s’appelaient Ally Mcbeal ou Carrie Bradshaw (incarnées respectivement par des actrices dont l’IMC moyen ne devait guère dépasser les 15).
A cette époque ou l’invention des smartphones et des réseaux sociaux n’étaient alors qu’au stade d’idées embryonnaires dans l’esprit de leurs futurs inventeurs, je ne me doutais pas que le pire restait à venir…

Voilà le début de toute l’histoire, les origines du trouble.

La suite, mon post l’explique très bien : 20 ans passés à contraindre ainsi ma nature et mes réelles envies. Et les périodes ou je relâchais un peu la pression étaient inévitablement suivi de périodes plus restrictives, plus tourmentées.

Entre 2012 et 2017, il est arrivé que mon poids descende jusqu’à 42 kg et même si ce poids ne mettait pas en danger ma santé physique qui restait bonne, les contraintes que je m’imposais mais aussi ce sentiment de culpabilité permanent m’entraînaient de plus en plus souvent dans un désespoir si profond que je perdais l’envie de vivre.
Je pensais de plus en plus souvent que ma disparition serait une délivrance pour moi même et pour mon entourage.
Tous ces vains efforts sans cesse à renouveler m’épuisaient. Je me sentais vidée mais aussi emprisonnée, enfermée par une image, entraînée dans une spirale dont je ne savais pas comment sortir.

C’est alors que j’ai eu le déclic, à 40 ans passés, que je me suis dit que je ne voulais pas au pire y rester, au mieux devenir complètement folle, je devais mettre un terme à ces 20 ans de mensonges, à ces 20 ans passés dans un rôle qui n’était pas moi, dans un corps qui n’était pas vraiment le mien.
J’ai “pris les armes” en (re)passant par la case psy et anti-dépresseurs et je suis partie sur le chemin de l’acceptation et du retour vers mon vrai moi. Cette fois, je tenais mon objectif, et je n’allais pas rater ma cible.

Je reviendrais sur les différents aspects de la vie avec un TCA qui reviendra en “fil rouge” dans la plupart de mes articles, car avec tout le recul dont je suis capable aujourd’hui, j’ai beaucoup de choses à dire et de thématique à aborder en rapport avec ce sujet.

Mais le message que je veux surtout faire passer, c’est que les personnes atteintes d’un TCA ne sont pas forcément squelettiques ou obèses comme vous l’avez vu dans les émissions de TV, elle ne s’empiffrent pas forcément pour se faire vomir après.
Pour la plupart, vous les verrez se tenir à table exactement comme vous. Elle vous sembleront physiquement en pleine forme et parfaitement bien dans leur peau.

Car la vérité se cache sous le masque.

Sous le masque, il y a cette vérité :

Mon corps, cet ennemi
Voilà à quoi se résume le rapport à notre propre corps.
Une guerre.
Permanente et sans trêve.
On le déteste, on ne peut pas le regarder sans le juger.
Et on le juge durement, sans aucune indulgence.
On le déteste parce qu’il n’est pas conforme.
Il n’est pas conforme à l’image qu’on voudrait qu’il nous renvoie.
Pas conforme à ce qu’on attend de lui.
Alors on le maltraite, d’une manière ou d’une autre, pour qu’il se plie à notre volonté.

Apprendre à lui porter un regard bienveillant, faire la paix avec lui, est le premier pas à faire pour retrouver la sérénité.

C’est sans doute le plus difficile à faire.
Mais c’est le premier sur le chemin vers la liberté.

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